De la terreur à la déshumanisation 

Jean-Richard Freymann[1]

 Congrès de la FEDEPSY en Janvier 2016

PULSION, JOUISSANCE ET COLLECTIF.

Pour une clinique de la déshumanisation.

Nous sommes dans l’après coup impossible du 7, 8, 9 janvier : massacres.

Nos amis de 1968 de Charlie Hebdo ont été pour plusieurs massacrés. La prise d’otage dans un supermarché casher a fait quatre morts. Dix sept personnes ont perdu la vie depuis l’attaque de Charlie Hebdo… (ainsi que les trois terroristes).

A côté de Charb, Cabu, Wolinski, Tignous, Bernard Maris, Honoré, Mustapha Ourrad, Frédéric Boisseau, Michel Renaud, Elsa Cayat, psychiatre, psychanalyste, a écrit plusieurs livres : Un homme + une femme = quoi ?[2], Le désir et la putain. Les enjeux cachés de la sexualité masculine[3]

Elle travaillait à Charlie Hebdo où elle faisait tous les quinze jours une tribune « Le divan » en abordant les thèmes tels que : « Violence mode d’emploi », « Genèse de la Shoah », « Autorité parentale » et sa dernière parution dans le numéro du mercredi 7 janvier s’intitulait – et c’est pour les cliniciens – « Noël, ça fait vraiment chier » : dans la pure pensée, juste et transgressive, de Charlie Hebdo !

Depuis lors la manifestation du 11 janvier 2015 a eu lieu où comme le dit J.M.G. Le Clezio[4] « Je pense que cette journée aurait fait reculer le spectre de la discorde qui menace notre société plurielle. Il fallait du courage pour marcher désarmés dans les rues de Paris… »

Depuis lors est paru le dernier Charlie Hebdo avec les réactions contradictoires que l’on sait.

Le psychanalyste et le psychanalysant ne peuvent être que sidérés et affirmer « leur effroi, leur solidarité, leur chagrin »[5]. Si on en a le courage et au delà des émotions persistantes, il faut oser poser certaines interrogations désaxantes :

  1. Combien faut-il de massacres et de déchaînements du réel pour provoquer des réactions citoyennes ?
  2. La guerre des religions s’est-elle un jour interrompue ?
  3. Quelle société peut s’autoriser la liberté de la presse ? Et comment peut-on confondre la liberté d’expression propre à un pays avec un appel à la haine ?
  4. Comment répondre à la suggestion hypnotique et à la manipulation des réseaux sociaux, à la fascination des foules, par des moyens pas seulement répressifs et qui tiennent compte des sciences contemporaines ?
  5. Comment se fait-il que la dynamique européenne soit à ce point en retard, de ne pouvoir échanger rapidement des informations ?

Le champ analytique fait symptôme – voire sinthome – du rapport à la culture d’une période donnée. Et en notre époque médiatico-immédiate et individualiste, la dialectique demande/désir, « transfert/temps pour comprendre » est en difficulté, dès lors que l’analyste n’a pas réussi à mettre en place un colloque singulier et une situation analytique.

Les choses sont d’autant plus compliquées que la logique du particulier n’est nullement substituable à la psychologie collective qui introduit des violences fracassantes. Les modèles en jeu sont ceux des psychoses pré et post-traumatiques où la cure analytique n’a point d’accès immédiat.

Pour l’avenir, le Malaise dans la civilisation occidentale ne peut se penser qu’à partir du transgénérationnel et, les capacités à repenser « l’Ecole et la prison », « l’Eglise et l’Armée » ne suffiront pas.

Mais S. Freud[6] et J. Lacan[7] nous en donnent les prémisses militantes

  1. « La religion porte préjudice à ce jeu d’adaptation et de sélection en imposant uniformément à tous ses propres voies pour parvenir au bonheur et à l’immunité contre la souffrance. Sa technique consiste à rabaisser la valeur de la vie et à déformer de façon délirante l’image du monde réel, démarches qui ont pour postulat l’intimidation de l’intelligence. »
  2. « Abrégeons à dire que ce que nous en avons vu émerger, pour notre horreur, représente la réaction de précurseurs par rapport à ce qui ira en se développant comme conséquence du remaniement des groupements sociaux par la science, et nommément de l’universalisation qu’elle y introduit.

Notre avenir de marchés communs trouvera sa balance d’une extension de plus en plus dure          des procès de ségrégation. »

Que les Français soient « Charlie » ou ne le soient pas… l’heure est grave et les paniques font lien social. Espérons que les dessins subversifs nous redonnent… des desseins.

[1]          Jean-Richard Freymann, Président de la FEDEPSY, Directeur scientifique d’Arcanes-eres.

[2]          Elsa Cayat, Un homme + une femme = quoi ?, Petite Bibliothèque Payot, Essai poche, 2007.

[3]          Elsa Cayat, Antonio Fischetti, Le désir et la putain. Les enjeux cachés de la sexualité masculine, Albin Michel, 2007.

[4]          Pétition dans le Monde du vendredi 16 janvier 2015.

[5]          Le Monde sous « manifeste.org »

[6]          S. Freud, Malaise dans la civilisation, Paris, PUF, 8e Ed. 1981, p. 31.

[7]    « Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’Ecole » in Scilicet, collection dirigée par J. Lacan, Paris, Seuil, 1968, p. 29.